Cet axe trouve des terrains d’applications dans toutes les thématiques étudiées au sein de la MSH Paris-Saclay.
Il vise à analyser le concept d’innovation en tant que tel, mais aussi à explorer les apports des Science and Technology Studies sur la compréhension des effets des politiques qui lui sont consacrées.
Enfin, les chercheurs seront plus généralement incités à développer des travaux réflexifs sur leurs propres pratiques de l’innovation.
Les deux axes cardinaux
de la MSH Paris-Saclay concernent essentiellement les transitions numérique et écologique. Ces transitions s’accompagnent
souvent, en amont ou en aval, d’innovations technologiques ou sociales qui sont
susceptibles de déstabiliser les systèmes dans lesquels elles s’insèrent et de les
engager dans de nouvelles transitions. La nécessité de comprendre la complexité
des boucles de rétroactions et la permanence des injonctions à innover, et la
présence au sein de Paris-Saclay de forces spécialisées dans la recherche sur l’innovation
ont incité la Direction de la MSH à définir un axe transversal sur l’innovation.
L’innovation est en effet un objet d’étude
interdisciplinaire, à la lisière des sciences de la nature et des sciences
humaines et sociales. Elle est aussi un champ de recherche pluridisciplinaire
au sein de ces dernières, au croisement de l’histoire, du droit, de la
sociologie, de l’économie et de la gestion. À cet égard, elle se situe au
centre de nombreuses réflexions sur la propriété intellectuelle, l’entreprise et
la croissance économique. Ces thématiques constituent un objet d’étude
particulièrement stimulant pour toutes les disciplines des SHS. Au cœur d’un
territoire qui fait de l’innovation l’un de ses fers de lance, la MSH Paris-Saclay
a vocation à porter une recherche méthodologique et réflexive
interdisciplinaire sur cet objet, en mobilisant non seulement les quelque 100
spécialistes du domaine au sein de ses laboratoires, mais aussi toutes celles
et ceux qui souhaitent interroger la portée des injonctions d’innover sur leurs
pratiques et leurs résultats.
Étudier le concept en tant que tel, dans ses dimensions
managériales, économiques ou même sociologiques ou juridiques, sera un objectif
de l’axe. L’exploration des apports des Science
and Technology Studies concernant la compréhension des effets des
politiques consacrées à l’innovation constituera un deuxième objectif également
important. L’injonction d’innover produit des effets sur les thématiques de
recherche et les pratiques de tous les chercheurs, y compris les chercheurs en
SHS. Dans ce dernier sens, les équipes de la MSH Paris-Saclay ont aussi
vocation à développer des travaux réflexifs.
Enjeu politique et économique, l’objet « innovation » constitue aussi un concept-valise présenté
comme étant susceptible de résoudre tous les problèmes de la société :
progrès scientifique et technologique d’une part, changements organisationnels et
institutionnels d’autre part. L’interroger, c’est questionner la pertinence des
frontières entre recherche fondamentale, recherche appliquée et R&D, de
même que les critères et les outils de l’action publique et privée consacrées au
financement de la Recherche et son développement.
De fait, loin d’être totalement modélisable, l’innovation
est une réalité plurielle : innovation technologique concernant les
produits et les processus ; innovation sociale concernant les
organisations et les institutions. La réflexion sur l’innovation sociale
préoccupe tout autant les managers, les citoyens et les décideurs publics. À
titre d’exemple, des questions telles que la responsabilité sociale des
entreprises et le développement durable participent de cette réflexion.
Traditionnellement, les travaux sur l’innovation sont
séparés entre ceux qui se focalisent sur les produits ou services et ceux qui
portent sur les processus. Cette typologie demeure pertinente, mais peut être
réinterrogée aujourd’hui quand produits, services, processus et méthodes
managériales sont désormais perçus comme autant d’entités étroitement
imbriquées.
L’étude des effets de l’injonction d’innover sur la production des connaissances
scientifiques, techniques, tout comme sur nos sociétés en général fait l’objet
d’un nombre important de travaux. Ces derniers, qui ont émergé à partir des
années 1960, mettent en avant l’idée que la science et la technique
résultent de l’activité d’acteurs, de groupes, d’organisations et d’institutions
sociales situés, dont l’ambition est de produire des vérités, des connaissances
ou des techniques selon des méthodes éprouvées. La montée en puissance d’une
injonction permanente d’innover est en effet susceptible de mettre en péril les
modes d’expression traditionnels de la Recherche et des controverses
scientifiques.
Cette injonction d’innover affecte tout à la fois les
secteurs de la recherche et de la formation, mais aussi la société et les
pratiques qu’elle développe. L’étude des politiques de promotion de l’innovation
et des cadres normatifs mis en place pour son déploiement illustre les
ambiguïtés d’un principe qu’on oppose parfois à la précaution. De nombreux
travaux ont été consacrés à cette question, de la nouvelle production des
savoirs à la triple hélice, qui ont proposé des modélisations des évolutions
des relations entre sciences et société dont l’injonction permanente à innover
est l’un des marqueurs. Ces évolutions, parfois réunies sous le vocable de
technosciences, justifient des programmes économiques massifs de transferts
technologiques via la création de plateformes d’accélération, d’incubateurs d’entreprises,
de start-up.
Quelles que soient les critiques que l’on peut adresser à
ces théories, il faut reconnaître que leur succès relance un long débat sur le
statut de la recherche publique et ses retombées économiques. Elles nous
incitent à renouveler l’interrogation sur le rôle social de la science au sein
des réflexions contemporaines sur l’État, l’entreprise, les formes de la
collaboration scientifiques et les cadres juridiques et économiques associés. Elles
permettent aussi de réfléchir, sur la base des données empiriques, sur le mythe
de l’innovateur et de la start-up dans les orientations des politiques de
recherche et de soutien à l’innovation. Les études sociohistoriques mettent enfin
en évidence que les institutions d’enseignement et de recherche scientifique et
technique sont façonnées aussi sur le temps long. Les initiatives des
universitaires – soutenus par les édiles locaux – pour favoriser le
développement industriel local dès la fin du dix-neuvième siècle produisent
encore aujourd’hui des effets observables. Ces analyses conduisent à une vision
plus complexe des conditions de l’innovation, de ses acteurs, des institutions
en jeu, ainsi que des savoirs, savoir-faire engagés et produits.
Enfin, étudier les effets de l’injonction à l’innovation
implique une certaine réflexivité et
une attention aux transformations des manières de faire et de produire de la
science tout autant qu’aux controverses qu’elle suscite. Un objectif de cet axe
sera, par conséquent, d’analyser les effets de cette injonction sur les systèmes
de production des connaissances existants en France, en Europe et plus
largement dans le monde, mais aussi sur les systèmes éducatifs, y compris les
établissements d’enseignement publics et privés. Au sein de la communauté
scientifique, l’évaluation des effets de l’injonction à innover pourra être
envisagée à travers le prisme du bien-être au travail ou encore de la fraude
scientifique et des mécanismes sociaux et juridiques qu’elle mobilise, tout
comme de la contribution d’un tiers secteur à la production de connaissances
pertinentes dans un contexte d’innovation sociale. Seront également promus,
dans une dimension plus réflexive, les travaux portant sur les effets de la
politique de recherche soutenue par la MSH Paris-Saclay, les établissements et les
groupes industriels du plateau de Saclay susceptibles d’influer sur nos propres
recherches.
À travers l’axe transversal sur les transitions et l’innovation, la MSH Paris-Saclay entend faire fructifier les analyses et les échanges résultant de ces croisements, comme cela a déjà été expérimenté, dans un passé récent, dans le cadre du projet LIDEX ISIS (Interactions between Science, Innovation and Society) et des activités du Centre d’Alembert, notamment. Cet axe stratégique pour l’Université Paris-Saclay pourra donner lieu à des collaborations mutuellement fructueuses avec les centres de recherche des groupes industriels (EDF, THALES, Renault…) du cluster Paris-Saclay.