Axe 1 : Numérique et Humanités
L’axe « Numérique et Humanités » catalyse les dynamiques de recherche autour de la révolution numérique et ses ambivalences. Il s’agit de mettre en avant les problématiques liées au traitement de données.
À travers le projet labellisé Excellence « OTELO : OnTologies pour l’Enrichissement de l’analyse Linguistique de l’Oral », Iona Vasilescu, chercheuse en linguistique au LISN (CNRS) témoigne de la nécessité de traiter les données linguistiques à travers des techniques numériques pour les exploiter en vue d’en apprendre davantage sur les profils socio-linguistiques.
Si d’une part la révolution numérique change le visage des sociétés et des économies, et représente une opportunité indéniable de développement, d’autre part, elle pourrait constituer une menace pour nos libertés individuelles. Les enjeux sociétaux des réseaux, des données massives, de l’algorithmique sont au cœur des projets de recherche labellisés par la MSH Paris-Saclay.
Le monde des données est aujourd’hui traversé par des changements profonds. Comme dans d’autres domaines, les données accumulées par les enquêtes en SHS (qualitatives et quantitatives) constituent maintenant un stock considérable, destiné à s’accroître encore dans les années à venir. On voit émerger progressivement le problème des données massives (big data), connectées (réseaux sociaux) ou complexes (langage naturel et images). Statistiques et algorithmique sont appelées à résoudre des problèmes de stockage (compression, indexation, streaming), de calcul distribué, de fiabilité et traçabilité.
La révolution digitale incite les entrepreneurs à repenser les modes de production en composant avec l’empowerment des consommateurs. Les enjeux éthiques et juridiques des données massives obligent les SHS à réfléchir à la préservation du patrimoine informationnel, à la protection de la vie privée, au design et à l’implémentation des régulations. Conception et mise en place des nouvelles règles du jeu sont surveillées par des commissions compétentes telle que la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés).
Par ailleurs, la MSH Paris-Saclay entend promouvoir la diffusion des données en hébergeant une PUD (Plateforme universitaire des données) sur le modèle de celles de Lille, Caen et Lyon. Elle participera aux infrastructures de conservation et de mises à disposition de fichiers agrégés et anonymisés : TGIR (Très grandes infrastructures de recherche) PROGEDO (Production et gestion des données en sciences sociales) et CESSDA (Consortium of European Social Science Data Archives). Reste la question de la valorisation des données.
Les données massives seraient inertes sans les algorithmes de fouille. Des machines toujours plus puissantes brassent aujourd’hui de plus grandes masses de données. Pourtant, loin de se cantonner à des effets de volume, la révolution des big data est marquée par l’usage d’algorithmes au croisement des statistiques, de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Ils doivent faciliter la construction de modèles sur les comportements et les représentations collectives ou la prise de décision. Dans leur vie quotidienne, les individus laissent des traces, qui sont autant de données. Elles sont repérables dans leurs relations avec les organisations (administrations, entreprises…), mais plus généralement via leurs usages des technologies numériques. Pensons, par exemple, à leurs déplacements (caméras de vidéosurveillance), aux paiements (cartes bancaires), ou à certains aspects de la vie domestique (capteurs et objets connectés). Ces grandes masses de données numériques, précisément datées (time-stamped) et souvent géolocalisées, attirent les entreprises, la statistique publique et la recherche en SHS.
Ces données massives sont aussi un défi théorique pour les SHS. Elles questionnent les théories de la décision et de l’optimisation. Elles doivent susciter de nouvelles recherches sur les usages de la technologie et ses conséquences sur les comportements individuels et collectifs ainsi que sur les dynamiques sociétales. La sociologie, l’histoire, l’économie, l’anthropologie, la psychologie et bien d’autres disciplines encore sont naturellement amenées à se pencher sur ces questions.
Du point de vue éthique et épistémologique, la gestion des données doit aussi intégrer des nouvelles contraintes telles que la sécurité et la traçabilité. La confiance numérique résulte de l’application de méthodes éthiquement et juridiquement responsables. Il s’agit de réguler la récolte, le traitement et l’interprétation des données personnelles. La protection de la vie privée passe par une protection des données à toutes les étapes du processus. Les algorithmes prédictifs représentent de nouvelles opportunités tout autant que des menaces dans les secteurs de la santé et de l’assurance avec un risque important de discrimination. Du point de vue politique, la démocratie est fragilisée par le tracking des électeurs et la manipulation de l’information à leur adresse à la veille des élections. Plus généralement, le pluralisme comme socle de la démocratie est potentiellement remis en cause par les traitements algorithmiques et l’émergence de médias sociaux dominants. Tout en encourageant des projets pilotes montrant la voie dans l’utilisation de données massives en SHS, la MSH Paris-Saclay soutiendra des travaux qui s’interrogent sur les enjeux sociétaux des big data et des algorithmes, et contribuent à éclairer la décision publique sur ces sujets brulant d’actualité.
Les avancées récentes en théorie de la décision (sparsity theory), intelligence artificielle (convergence homme-machine) et neurosciences (IRM fonctionnel) permettent le dépassement du cadre standard de la rationalité instrumentale au sens de Weber (1913).
La MSH lance des appels à projets interdisciplinaires et assure l’animation de la recherche sur les données, les algorithmes et la décision en étroite collaboration avec les projets existant dans le périmètre saclaysien. Parmi tous ces projets, l’Institut Convergence DATAIA fait figure de proue. DATAIA porte la recherche SHS sur les données et les algorithmes. Ses applications concernent la politique énergétique, les smart cities, la mobilité, l’alimentation et le bien-être. Le LABEX (Laboratoire d’excellence) DIGICOSME (Digital Worlds: Distributed Data, Programs and Architectures) finance les recherches sur les mondes numériques, programmes et architectures distribués, tandis que l’EQUIPEX MATRICE (Mémoire, analyse, théories, représentations individuelles et collectives, expérimentations) est une plateforme multifactorielle, multi-échelle et multidisciplinaire pour les mémoires individuelle et sociale. Sur les questions liées à la décision et à la rationalité, la MSH est impliquée dans l’IRS (Initiative de recherche stratégique) ICODE2 (Institute for Control and Decision of Paris-Saclay) et dans le LABEX MME-DII (Modèles mathématiques et économiques de la dynamique, de l’incertitude et des interactions). Le LABEX ECODEC (Économie et sciences de la décision) porte aussi les recherches en théorie de la décision.
Dans ce cadre, l’environnement du plateau de Saclay regroupe un ensemble impressionnant d’institutions et de compétences individuelles ou collectives. Sont présents des disciplines et des laboratoires relevant de l’histoire, de la sociologie, du droit privé et public, de l’économie, des études théâtrales ou de la musicologie. À cela s’ajoutent des équipes issues des sciences “dures” qui travaillent sur l’informatique.
La MSH Paris-Saclay a vocation à favoriser l’émergence de nouvelles collaborations. Plusieurs pistes paraissent prometteuses : nouvelles formes de conception et de pratiques des humanités, étude des productions culturelles et artistiques « numériques », invention de nouvelles modalités de conservation et de diffusion numériques. Des recherches sur les modalités de réception par des acteurs ou utilisateurs « anciens » ou « nouveaux » devra aussi faire l’objet de recherches. Trois champs – pluridisciplinaires et transversaux – paraissent dans un premier temps particulièrement prometteurs.
Le premier concerne l’articulation entre les parcours professionnels des créateurs et les modalités de leur travail de création. On pense ici aux nouvelles formes de création qui intègrent les technologies digitales les plus récentes. On pense aussi aux profondes transformations du travail artistique dans différents secteurs (musique, cinéma).
Le second champ, plus centré sur l’histoire, doit permettre d’aller plus loin dans la compréhension de l’histoire transnationale. En mobilisant des outils et des supports numériques, ce champ d’étude s’appuie sur l’étude des représentations, des pratiques ou des modes de vie que véhiculent ces nouvelles formes de productions numériques. L’accent sera en particulier mis sur la longue durée. Des projets de ce type existent déjà dans le périmètre de Paris-Saclay, par exemple en musicologie. Ils illustrent la fécondité de ce type de démarche. Les technologies modifient les frontières au sein du travail de création collective. Petit à petit, c’est la définition des acteurs individuels ou collectifs qui s’en trouve interrogée.
Le dernier champ qui mérite un soutien de la MSH Paris-Saclay porte sur les phénomènes de médiation et de réception des productions culturelles et artistiques. Cette thématique concerne de nombreux publics. Un accent particulier sera mis sur l’étude des nouveaux dispositifs de médiation numérique. On pense par exemple au jeu vidéo OFABULIS développé avec le CMN (Centre des monuments nationaux). L’histoire des médias, de l’image ou de la communication sera ici particulièrement sollicitée. C’est déjà le cas avec le projet TRANSFOPRESS (Transnational Network for the Study of Foreign Language Press) sur la presse en langues étrangères. Ce projet présente un fort potentiel de développement. Il est soutenu par la FSP (Fondation des sciences du patrimoine) en étroite collaboration avec le LABEX PATRIMA (Patrimoines matériels : savoirs, conservation, transmission).
Les nouvelles technologies révolutionnent également les recherches sur le patrimoine.
L’économie de l’immatériel façonne à la fois le processus de patrimonialisation, les modalités de transmission et les pratiques de création culturelle. Au-delà de la question de l’impact du numérique sur les champs du patrimoine et de la création, le numérique fait aussi émerger de nouvelles catégories patrimoniales, le patrimoine numérique, qui regroupe un ensemble de ressources et de données culturelles et patrimoniales selon la définition de l’UNESCO. Sous l’intitulé de « patrimoine numérique » peuvent être abordées les problématiques de traitement et d’archivage des données patrimoniales, de partage et d’enrichissement des données, de production collaborative des savoirs, de représentation, visualisation et création numérique (arts et sciences), ainsi que les questionnements épistémologiques, organisationnels et sociétaux associés.
Il s’agit d’identifier ce que le numérique peut apporter à la connaissance ou au partage des objets. Les futures recherches pourraient porter plus précisément sur la dématérialisation des objets culturels, la visualisation, le partage collaboratif, l’authenticité, la circulation des pratiques et des savoirs, le statut social et juridique des objets.
En outre, une dimension importante de la recherche saclaysienne est l’étude des matériaux. Il s’agit d’une dimension étroitement liée aux processus de patrimonialisation (objets de musée, collections d’histoire naturelle et d’archéologie, architecture, manuscrits et livres, archives). L’étude des matériaux a été profondément renouvelée par l’importance grandissante prise par les données et leur accessibilité. La caractéristique des travaux menés dans ce cadre est de combiner d’une manière inédite des sciences expérimentales (physique et chimie), les mathématiques, les sciences de l’information avec des SHS.
La MSH Paris-Saclay vise à rassembler les unités du plateau de Saclay autour des transversalités qui émergent de la cartographie SHS concernant les problématiques patrimoniales. Au-delà même des entités académiques, les unités de Paris-Saclay interagissent directement avec des institutions patrimoniales et culturelles du plateau de Saclay et de ses vallées (châteaux, musées, archives et théâtres). Ces unités travaillent avec des institutions culturelles de premier plan, au niveau régional ou national. Certaines de ces activités viendront naturellement s’inscrire dans le cadre de l’accord-cadre entre le CNRS et le ministère de la Culture et de la Communication. La reconnaissance internationale de la France dans le domaine des études sur les cultures et le patrimoine doit amener les équipes de Paris-Saclay à accentuer les collaborations existantes avec les universités d’Oxford, de Berkeley et de Stanford. La MSH Paris-Saclay souhaite associer étroitement le LABEX PATRIMA et l’EQUIPEX PATRIMEX (Patrimoines matériels : réseau d’instrumentation multisites expérimental), ainsi que le DIM (Domaine d’intérêt majeur) MAP (Matériaux anciens et patrimoniaux) aux recherches sur les questions patrimoniales. Il s’agit enfin de porter aussi les aspects liés à la valorisation (diffusion auprès des publics, impact sur le tourisme culturel, nouveaux médias, expertise analytique des biens patrimoniaux, droit et économétrie du patrimoine et de la culture) via une collaboration avec le réseau de PME PBM (Patrimoine, big data & multimédia).