Axe 3 : Transitions et Innovation
Les deux axes cardinaux de la MSH Paris-Saclay concernent essentiellement les transitions numérique et écologique. Ces transitions s’accompagnent souvent, en amont ou en aval, d’innovations technologiques ou sociales qui sont susceptibles de déstabiliser les systèmes dans lesquels elles s’insèrent et de les engager dans de nouvelles transitions. La nécessité de comprendre la complexité des boucles de rétroactions et la permanence des injonctions à innover, et la présence au sein de Paris-Saclay de forces spécialisées dans la recherche sur l’innovation ont incité la direction de la MSH à définir un axe transversal sur l’innovation.
L’innovation est en effet un objet d’étude interdisciplinaire, à la lisière des sciences de la nature et des sciences humaines et sociales. Elle est aussi un champ de recherche pluridisciplinaire au sein de ces dernières, au croisement de l’histoire, du droit, de la sociologie, de l’économie et de la gestion. À cet égard, elle se situe au centre de nombreuses réflexions sur la propriété intellectuelle, l’entreprise et la croissance économique. Ces thématiques constituent un objet d’étude particulièrement stimulant pour toutes les disciplines des SHS. Au cœur d’un territoire qui fait de l’innovation l’un de ses fers de lance, la MSH Paris-Saclay a vocation à porter une recherche méthodologique, réflexive et interdisciplinaire sur cet objet, en mobilisant non seulement les quelque 100 spécialistes du domaine au sein de ses laboratoires, mais aussi toutes celles et ceux qui souhaitent interroger la portée des injonctions d’innover sur leurs pratiques et leurs résultats.
Étudier le concept en tant que tel, dans ses dimensions managériales, économiques ou même sociologiques ou juridiques, sera un objectif de l’axe. L’exploration des apports des Science and Technology Studies concernant la compréhension des effets des politiques consacrées à l’innovation constituera un deuxième objectif également important. L’injonction d’innover produit des effets sur les thématiques de recherche et les pratiques de tous les chercheurs, y compris les chercheurs en SHS. Dans ce dernier sens, les équipes de la MSH Paris-Saclay ont aussi vocation à développer des travaux réflexifs.
Enjeu politique et économique, l’objet « innovation » constitue aussi un concept-valise présenté comme étant susceptible de résoudre tous les problèmes de la société : progrès scientifique et technologique d’une part, changements organisationnels et institutionnels d’autre part. L’interroger, c’est questionner la pertinence des frontières entre recherche fondamentale, recherche appliquée et R&D, de même que les critères et les outils de l’action publique et privée consacrées au financement de la Recherche et son développement.
De fait, loin d’être totalement modélisable, l’innovation est une réalité plurielle : innovation technologique concernant les produits et les processus ; innovation sociale concernant les organisations et les institutions. La réflexion sur l’innovation sociale préoccupe tout autant les managers, les citoyens et les décideurs publics. À titre d’exemple, des questions telles que la responsabilité sociale des entreprises et le développement durable participent de cette réflexion.
Traditionnellement, les travaux sur l’innovation sont séparés entre ceux qui se focalisent sur les produits ou services et ceux qui portent sur les processus. Cette typologie demeure pertinente, mais peut être réinterrogée aujourd’hui quand produits, services, processus et méthodes managériales sont désormais perçus comme autant d’entités étroitement imbriquées.
L’étude des effets de l’injonction d’innover sur la production des connaissances scientifiques, techniques, tout comme sur nos sociétés en général fait l’objet d’un nombre important de travaux. Ces derniers, qui ont émergé à partir des années 1960, mettent en avant l’idée que la science et la technique résultent de l’activité d’acteurs, de groupes, d’organisations et d’institutions sociales situés, dont l’ambition est de produire des vérités, des connaissances ou des techniques selon des méthodes éprouvées. La montée en puissance d’une injonction permanente d’innover est en effet susceptible de mettre en péril les modes d’expression traditionnels de la recherche et des controverses scientifiques.
Cette injonction d’innover affecte tout à la fois les secteurs de la recherche et de la formation, mais aussi la société et les pratiques qu’elle développe. L’étude des politiques de promotion de l’innovation et des cadres normatifs mis en place pour son déploiement illustre les ambiguïtés d’un principe qu’on oppose parfois à la précaution. De nombreux travaux ont été consacrés à cette question, de la nouvelle production des savoirs à la triple hélice, qui ont proposé des modélisations des évolutions des relations entre sciences et société dont l’injonction permanente à innover est l’un des marqueurs. Ces évolutions, parfois réunies sous le vocable de technosciences, justifient des programmes économiques massifs de transferts technologiques via la création de plateformes d’accélération, d’incubateurs d’entreprises, de start-up.
Quelles que soient les critiques que l’on peut adresser à ces théories, il faut reconnaître que leur succès relance un long débat sur le statut de la recherche publique et ses retombées économiques. Elles nous incitent à renouveler l’interrogation sur le rôle social de la science au sein des réflexions contemporaines sur l’État, l’entreprise, les formes de la collaboration scientifiques et les cadres juridiques et économiques associés. Elles permettent aussi de réfléchir, sur la base des données empiriques, sur le mythe de l’innovateur et de la start-up dans les orientations des politiques de recherche et de soutien à l’innovation. Les études sociohistoriques mettent enfin en évidence que les institutions d’enseignement et de recherche scientifique et technique sont façonnées aussi sur le temps long. Les initiatives des universitaires – soutenus par les édiles locaux – pour favoriser le développement industriel local dès la fin du dix-neuvième siècle produisent encore aujourd’hui des effets observables. Ces analyses conduisent à une vision plus complexe des conditions de l’innovation, de ses acteurs, des institutions en jeu, ainsi que des savoirs, savoir-faire engagés et produits.
Enfin, étudier les effets de l’injonction à l’innovation implique une certaine réflexivité et une attention aux transformations des manières de faire et de produire de la science tout autant qu’aux controverses qu’elle suscite. Un objectif de cet axe sera, par conséquent, d’analyser les effets de cette injonction sur les systèmes de production des connaissances existants en France, en Europe et plus largement dans le monde, mais aussi sur les systèmes éducatifs, y compris les établissements d’enseignement publics et privés. Au sein de la communauté scientifique, l’évaluation des effets de l’injonction à innover pourra être envisagée à travers le prisme du bien-être au travail ou encore de la fraude scientifique et des mécanismes sociaux et juridiques qu’elle mobilise, tout comme de la contribution d’un tiers secteur à la production de connaissances pertinentes dans un contexte d’innovation sociale. Seront également promus, dans une dimension plus réflexive, les travaux portant sur les effets de la politique de recherche soutenue par la MSH Paris-Saclay, les établissements et les groupes industriels du plateau de Saclay susceptibles d’influer sur nos propres recherches.
À travers l’axe transversal sur les transitions et l’innovation, la MSH Paris-Saclay entend faire fructifier les analyses et les échanges résultant de ces croisements, comme cela a déjà été expérimenté, dans un passé récent, dans le cadre du projet LIDEX ISIS (Interactions between Science, Innovation and Society) et des activités du Centre d’Alembert, notamment. Cet axe stratégique pour l’Université Paris-Saclay pourra donner lieu à des collaborations mutuellement fructueuses avec les centres de recherche des groupes industriels (EDF, THALÈS, Renault…) du cluster Paris-Saclay.